Aujourd'hui j'ai acheté deux petits gâteaux. Ça m'a coûté 6,60 € et un commentaire raciste.

J'ai trouvé ça un peu cher du coup.

Avant de me décider pour ces deux parts de cheesecake, je scrutais la fabuleuse vitrine de la boulangerie. Tout est très bon, mais voulant marquer le coup de mon anniversaire avec ma fille une fois rentré du travail, je prenais mon temps. La boulangère qui attendait ma décision, c'était la plus âgée de l'équipe. Je ne l'ai jamais trop aimée, entre son rire agaçant et l'absence de masque sur son visage pendant le gros de la pandémie j'avais l'aiguille de mon radar “vieille conne de droite” qui en claquait contre la butée sans avoir plus d'arguments.

Tous les jours dans cette vitrine, il y a ces... trucs, des gros blobs blancs à la forme gourmande et écaillés d'éclats de chocolat comme si leur trop généreuse garniture les avait fait exploser doucement. Des Merveilleux, je crois que ça s'appelle. J'ai un peu de temps, j'ai également le souvenir amusé de ma collègue et moi qui les commentons presque tous les jours avec envie et amusement, je demande ce que c'est. J'apprends que c'est à base de guimauve et que ça s'inspire de cette confiserie qu'on appelait dans le temps “tête de nègre” et à laquelle on a changé le nom récemment. “Ce que je trouve stupide, d'ailleurs.”

Et merde.

Il y a eu un échange suite à cette phrase. Pourquoi j'écris ce billet, j'y viendrai, mais ce n'est pas pour montrer en retranscrivant les arguments que j'avais gagné la conversation. Je l'ai perdue d'ailleurs, ça s'est terminé sur un argument d'autorité quand elle a cité un des discours présents dans le film Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ? puis j'ai payé, sans contact, oui, ticket, non merci, bonne journée à bientôt.

Il y a eu un échange suite à cette phrase et je pense que c'était important. Peu importe la forme, j'aurais aussi pu m'énerver, mettre une étoile sur cinq sur Maps et boycotter pendant deux semaines pour montrer que je boudais. Jusque-là avec ce genre d'événement il ne se passait rien, j'esquivais parce que ça me mettait trop mal, que je sentais que si je réagissais ce serait de colère – justifiée – que je n'avais pas envie d'exposer à quelqu'un que je ne connaissais pas. Parce que la colère c'est comme les larmes, tout aussi légitime mais tout aussi intime. Et donc bref je pense que c'est important parce que j'ai remarqué quelque-chose à force d'avoir 41 ans d'existence maintenant et de faire partie des petits commerçants : la haine est banale.

C'est grandissant. On le sait, on en a le triste rappel à peu près tous les jours dans le paysage médiatique et les gens qui se sont investis dans les dernières élections, par simple intérêt comme par déplacement aux bureaux de vote, ont encore la douleur fantôme de la boule au ventre. La haine est aussi banale que la pluie, ou que le prix de l'essence. Elle alimente les conversations pour attendre le bus et acheter son pain. Elle a gagné ce niveau, cet ultime niveau, de légitimité. On raconte à son commerçant qui voulait juste faire son travail en silence qu'on faisait partie du bureau de financement de la campagne de Zemmour, on se dit royaliste au milieu d'un échange technique sur la taille des cadres photo, on cale un petit “y en a des bien” comme on lâche un pet, on regrette le temps où on pouvait encore se considérer innocente quand on disait “nègre” ou “bamboula”¹.

Et moi je ne dis rien, je fais vœu de pudeur pour ne brusquer personne et j'ai troqué mes t-shirts du Goéland contre des vêtements unis, parce que c'est de mon âge.

Ben en fait je crois qu'il est temps de n'en avoir plus rien à foutre. Si je continue de penser que cette pudeur est nécessaire, et saine, elle a laissé le terrain libre. Donc je vais me faire un peu violence, et répondre. Je ne peux pas aller casser le mobilier sur les plateaux de C8, je ne serai jamais interviewé par cette connasse de Saint-Cricq, mais j'ai tous les jours un espace de parole où je rechigne à aller parce que je sais que j'entendrai une saleté si je parle de la pluie. Je vais la laisser venir et répondre. Je vais répandre la mienne, de saleté, sans qu'on me l'ait demandé. Mon “y en a des bien” à moi ça sera “brûler les riches”. Je veux que ces gens aussi aient l'expérience de la réponse qu'iels ne voulaient pas entendre, pas par vengeance ou par sadisme, mais parce que je pense que je ne suis pas le seul à ne pas répondre et que collectivement nous avons laissé le terrain libre. Répondons-leur, répandons-nous, parce qu'il n'est pas normal que des idées qui fût un temps justifiaient qu'on aille se planquer quelques décennies en Amérique du Sud trouvent au bureau de Poste ou à la boulangerie la même légitimité que le constat qu'il pleut.

Cordialement, Patate


¹ https://twitter.com/BilgerPhilippe/status/830151420783501313